Green marketing : entre nécessité, sincérité et dérives potentielles

Sensible et curieux depuis de très nombreuses années aux questions de durabilité, notamment dans mon domaine sur les questions de green marketing, de communication durable et d’éco-conception digitale, les derniers mouvements géopolitiques, sociétaux et économiques ont récemment animé mes réflexions nocturnes (et pas que ;)). Entre espoir et illusion, je me questionne sur l’utilité et la pertinence de telles démarches. Mon enthousiasme est parfois mis à mal par l’actualité pourtant je crois qu’il faut rester profondément positif pour construire la suite.
Contexte
Le green marketing et le marketing responsable visent à harmoniser rentabilité et durabilité. Ils promettent de repenser le rôle des marques pour qu’elles contribuent à un avenir plus respectueux de la planète et des communautés. Dans un contexte de crises multiples (politiques, culturelles et environnementales), cette approche me semble plus nécessaire que jamais.
Mais face à l’urgence climatique et aux injonctions du marché, que valent réellement ces engagements ? S’agit-il de véritables leviers de transformation ou d’outils de communication servant à masquer des logiques de profit à court terme ? Quel avenir pour ces initiatives dans un monde en plein bouleversement.
La promesse et la pression du green marketing
Les attentes grandissantes des consommateurs
Le green marketing cherche à intégrer des principes écologiques et éthiques à la communication et au positionnement d’une marque. Au-delà de la simple publicité « verte », il s’agit d’un ensemble de pratiques ayant pour ambition d’aligner les processus de production, de distribution et de promotion avec des objectifs de développement durable.
Or, cette transformation n’est pas seulement un choix éthique : elle répond aussi à une demande croissante du public. Les études montrent fréquemment qu’une proportion de plus en plus importante de consommateurs se déclare prête à payer davantage pour des produits et services respectueux de l’environnement. Même si récemment le recul constaté des produits Bio pourrait contredire cela, les campagnes de sensibilisation, la médiatisation des enjeux climatiques et l’essor des réseaux sociaux ont contribué à façonner une conscience écologique partagée, notamment chez les générations X et Z.
Dans ce contexte, les marques sont placées sous une forte pression. Elles doivent prouver leur engagement avec des arguments concrets : bilans carbone, certifications environnementales, partenariats associatifs, etc. La promesse du green marketing réside donc dans sa capacité à dépasser le simple discours pour proposer de véritables améliorations en matière d’empreinte environnementale et sociale.
Entre opportunité sincère et risque de greenwashing
Toutefois, dès lors qu’une pratique émerge comme un nouveau « standard », la tentation est grande pour certains d’en exploiter la popularité sans s’engager en profondeur. Le phénomène du greenwashing, régulièrement dénoncé par les ONG et les médias spécialisés, se manifeste lorsque la communication verte n’est pas suivie de réelles réformes structurelles.
Par exemple, en 2021 une enquête de la Commission européenne a révélé au sujet des allégations « vertes » que « dans 42 % des cas, l’allégation pouvait être fausse ou fallacieuse. » (cf. https://www.quechoisir.org/actualite-greenwashing-les-allegations-environnementales-trompeuses-bientot-interdites-n115682/)
On ne compte plus le nombre d’exemples de greenwashing : usage de mots-clés ou d’allégations écologiques trompeuses (références vagues au « naturel », à l’« éco-friendly » ou au « biodégradable »), exagération des bénéfices environnementaux, mise en avant de petites actions « vertes » pour mieux dissimuler une absence d’engagement global.
Cette dissonance, parfois entretenue par des stratégies marketing bien rodées, abîme la confiance du public. Les consommateurs, de plus en plus informés et exigeants, développent une vigilance accrue, voire un scepticisme généralisé. Dans un tel climat, le green marketing peut devenir victime de sa propre popularité : utilisé à mauvais escient, il finit par lasser, voire par soulever la méfiance généralisée vis-à-vis de toute communication portant sur la durabilité.
Le rôle crucial d’une transparence authentique
Pour éviter ces écueils, plusieurs organismes et labels incitent à une démarche plus exigeante. En France l’ADEME au travers de ses recommandations souligne l’importance de la transparence : dévoiler clairement l’impact environnemental, reconnaître ses limites et ses marges de progression, et assumer les étapes nécessaires à une transition écologique ambitieuse.
Cette transparence peut prendre la forme de rapports d’impact, d’indicateurs de suivi accessibles au grand public, de certifications reconnues (FSC, B Corp, ISO 14001, etc.) et d’un dialogue avec les parties prenantes. Dans la logique d’un marketing durable, la communication devient alors le reflet d’actions réelles et mesurables, plutôt que la vitrine d’un récit idéalisé.
L’harmonisation de ces rapports avec l’arrivée en Europe de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) va justement dans ce sens, même si certains y voient surtout une nième réglementation européenne.
Ainsi, le green marketing tient une double promesse : répondre aux attentes urgentes d’un marché qui aspire à la durabilité, et se montrer à la hauteur de la transition écologique en cours. Mais il se heurte à un environnement mondial de plus en plus complexe, où la nécessité de faire des profits rapidement entre souvent en conflit avec les valeurs écologiques.
Le contexte sociopolitique et culturel fragilise-t-il les engagements responsables ?
Les bouleversements politiques : entre populisme et fragilisation des priorités durables
Sur la scène internationale, la montée de gouvernements populistes ou nationalistes modifie la hiérarchie des priorités : recul des réglementations écologiques ou réduction des subventions pour les projets de transition énergétique. En France, par exemple l’ADEME est fortement contestée par certains qui ne voient là qu’un centre de coût, et aux États-Unis Trump tout juste élu, est déjà sorti de l’accord de Paris.
« Drill, baby, drill ! »
L’urgence climatique peut ainsi passer au second plan, supplantée par des préoccupations immédiates telles que la sécurité, l’immigration, la relance économique « à l’ancienne », etc…
Dans un tel contexte, les entreprises se retrouvent face à des signaux contradictoires. D’un côté, elles perçoivent la pression citoyenne et l’engagement d’une partie de leurs clients pour plus de responsabilité. De l’autre, elles doivent composer avec des environnements politiques incertains, où l’appui gouvernemental à l’innovation verte se fait parfois hésitant, voire inexistant.
Le risque est alors de voir certaines multinationales renoncer à des transformations profondes si elles ne bénéficient pas de soutiens solides, ou pire, si elles craignent des représailles réglementaires. La RSE, initialement perçue comme un atout concurrentiel et une source d’innovation, peut se retrouver reléguée au rang de priorité secondaire dans les arbitrages de court terme.
Des tensions culturelles et sociales qui polarisent les valeurs
Au-delà des évolutions politiques, que dire de la polarisation culturelle grandissante. Les débats autour du « wokisme », du féminisme, ou masculinismes créent un climat de méfiance et d’opposition. Or, les thématiques environnementales et sociales, même avec un large consensus, se heurtent parfois à des résistances culturelles et à l’urgence économique du quotidien.
Ainsi, les entreprises engagées sur des sujets de durabilité, de justice sociale ou d’inclusivité s’exposent parfois à des boycotts ou des campagnes de dénigrement. Les prises de position sont scrutées, et leurs actions de communication censurées ou auto-censurées. Cette polarisation rend la communication d’autant plus délicate : comment afficher ses valeurs sans se couper d’une partie du public ?
L’impact des réseaux sociaux et de la désinformation
Au cœur de cette polarisation, les réseaux sociaux jouent un rôle déterminent. Ils ont offert une tribune à de multiples voix, mais aussi facilité la propagation de la désinformation (cf. les débats sur la liberté d’expression et la polarisation des opinions). Les fameuses fake news peuvent semer le doute sur des initiatives pourtant réelles et vertueuses. Et la récente annonce de Mark de supprimer les mécanismes de fact-checking sur Meta, suivant ainsi l’approche de X, amplifie la confusion.
Les plateformes sociales façonnent de plus en plus nos perceptions. Les tendances marketing se concentrent sur l’authenticité et le storytelling, mais l’algorithme privilégie les contenus polarisants ou simplistes. A l’heure des formats courts, des hook émotionnels et autres tactiques digitales, il est aujourd’hui plus efficace de provoquer et de désinformer que de déployer ses réflexions (parfois longues). Cette contradiction entre intention et réalité algorithmiques est un défi majeur pour 2025.
Dans cet univers digital, les entreprises doivent faire preuve d’une maîtrise rigoureuse de leur discours et de la vérifiabilité de leurs informations. Toute exagération ou inexactitude peut être rapidement repérée et dénoncée, alimentant une spirale de défiance. À l’inverse, l’opacité fait naître des soupçons de greenwashing.
La confiance, valeur cruciale pour bâtir une relation durable avec les consommateurs, devient ainsi un capital précieux, constamment menacé par des flux d’informations contradictoires. Les engagements responsables peinent à émerger, noyés dans la cacophonie médiatique, et nombre d’initiatives RSE sincères passent inaperçues ou sont assimilées à des campagnes purement opportunistes.
Un équilibre instable entre économie et responsabilité
Ce panorama sociopolitique et culturel met en évidence la difficulté pour les entreprises à maintenir des engagements responsables dans un climat aussi mouvant. D’un côté, la demande sociale et environnementale est réelle, alimentée par la conscience des risques liés au réchauffement climatique et aux inégalités sociales. De l’autre, les freins politiques, culturels et informationnels brouillent la lisibilité et fragilisent la crédibilité des démarches RSE.
La question se pose alors : comment s’assurer que les entreprises ne renoncent pas à leurs ambitions durables sous la pression d’un environnement défavorable ou d’intérêts court-termistes ? Les réponses se trouvent sans doute dans la persévérance, l’innovation, l’alliance avec des acteurs de la société civile et la capacité à communiquer une vision de long terme, malgré les turbulences du moment.
La sincérité des engagements en question : réflexion sur les dérives de la RSE
La critique fondamentale : profit infini vs. habitabilité de la Terre
Dernièrement, lors de mes diverses lectures, je suis tombé sur l’article de Jean-Philippe Decka sur Bon Pote qui pose une question radicale : les entreprises peuvent-elles vraiment être durables dans un système fondé sur la quête de profit infini ? Au-delà de la communication et des labels, cette interrogation met en lumière les contradictions potentielles entre le modèle capitaliste actuel et les impératifs écologiques.
En effet, la recherche de croissance économique perpétuelle implique une consommation accrue de ressources naturelles, ce qui entre mécaniquement en tension avec l’idée d’un usage raisonné et durable de ces ressources. Dès lors, la RSE et le green marketing peuvent-ils suffire à contenir la frénésie extractiviste d’un système dont la logique ultime reste la rentabilité ?
Cette question est d’autant plus prégnante que les contraintes climatiques (neutralité carbone, limitation de la hausse des températures à +1,5°C) exigent des transformations radicales de nos modes de production et de consommation. Le marketing responsable, aussi ambitieux soit-il, peut-il à lui seul renverser la tendance ?
Les frontières floues entre communication et réelles mutations
Dans la pratique, la RSE se décline souvent en actions concrètes : réduction des emballages, choix de matières premières plus écologiques, plantation d’arbres, politiques de diversité et d’inclusion, partenariats avec des ONG, etc. Ces démarches peuvent être sincères et représenter un véritable progrès, notamment lorsqu’elles s’inscrivent dans un plan global et volontariste.
Cependant, la porosité entre la sphère du marketing et celle de la stratégie d’entreprise peut engendrer des dérives. La RSE devient alors un instrument de communication destiné à soigner l’image de marque, sans correspondre à un engagement réel sur le terrain. On parle alors de social washing ou de greenwashing, selon que la façade concerne l’écologie ou le social.
La sincérité des engagements se mesure donc au niveau de cohérence entre la communication et la stratégie économique à long terme. Les labels, audits externes et certifications peuvent apporter des garanties, mais ils restent insuffisants s’il n’y a pas de volonté interne de réinventer le modèle d’affaires pour qu’il soit réellement soutenable.
Aller au-delà du « minimum requis »
Face à ces constats, certains acteurs plaident pour une RSE radicale, allant bien au-delà des attentes sociétales ou réglementaires. Il ne suffit plus de respecter la législation ou d’améliorer ses process : il s’agit de transformer en profondeur la raison d’être de l’entreprise.
Ce mouvement mise sur l’innovation : écoconception, réduction de l’empreinte carbone à chaque étape, limitation de la surconsommation, investissements dans les communautés locales, etc. Dans ces initiatives, la RSE n’est pas vue comme un simple département « à part », mais comme le cœur même de la stratégie.
Mais cela a un coût, à la fois financier et organisationnel. Ces démarches exigent une remise en question profonde. Et une vision à long terme, soutenue par la direction et des actionnaires ouverts à ce changement est essentielle. L’exemple de Patagonia me parait ici pertinent. Mais ces acteurs exemplaires peuvent-ils, à eux seuls, infléchir la trajectoire globale ? Ils sont en tout cas inspirants et montrent la voie.
Vers un renouveau de la RSE ou un changement de paradigme ?
Pour que la RSE soit véritablement sincère, il faut sans doute un dépassement du cadre traditionnel qui voit l’entreprise comme un agent purement économique. Dans la ligne de pensée portée par l’article de Bon Pote, il s’agit de se demander si l’on peut réellement concilier la « quête de profit » avec la préservation de l’habitabilité de la Terre.
Il est possible de répondre que la RSE, dans ses meilleures formes, offre un levier de transformation : elle incite à l’innovation, à la sobriété, à la co-construction de solutions avec les territoires et les associations. Dans cette optique, la RSE catalyse une nouvelle forme de croissance, plus qualitative que quantitative.
Cependant, tant que l’objectif premier de l’entreprise demeure l’accumulation de profits à court ou moyen terme, de fortes contradictions persistent. C’est là que réside la critique la plus tranchante : la RSE ne serait qu’une rustine, voire un alibi, pour un modèle de développement intrinsèquement insoutenable.
Le débat reste ouvert. Il dépend des perspectives économiques, politiques et sociétales adoptées. Les plus optimistes estiment qu’un capitalisme réinventé, axé sur la création de valeur partagée, peut émerger. Les plus sceptiques doutent de la capacité d’un système dominé par la recherche de rendements financiers à s’auto-réguler. Dans tous les cas, la discussion mérite d’être menée au sein des entreprises, des institutions et de la société civile.
Pour conclure
Au fond, le green marketing et la RSE témoignent d’une prise de conscience collective : nos modèles économiques et nos habitudes de consommation ne pourront perdurer sans un changement radical. Mais ces démarches sont-elles suffisantes face à l’immensité des défis climatiques et sociaux ? Faut-il repenser les règles du jeu pour dépasser les contradictions d’un système fondé sur la croissance illimitée ?
Nous sommes tous invités à contribuer à cette réflexion—consommateurs, collaborateurs et décideurs. À l’heure du repli sur soi, où nos sociétés et la planète font face à des défis existentiels, les initiatives de green marketing et de RSE doivent-elles être repensées de manière plus radicale, ou s’agit-il déjà d’un pas dans la bonne direction ? Qu’en pensez-vous ? Engageons la discussion !